Agnès Pecolo Née à Lyon en 1963, A.Pécolo soutient en 1991 une thèse en sciences de l’ information et de la communication sur l’ univers médiatique des enfants.Maître de conférences à l’ Université de Bordeaux 3 et spécialisée sur les problématiques de l’enfance, elle est actuellement directrice des études du DESS « communication et jeunesse » au sein du département de communication sociale de bordeaux et membre du GRREM depuis l’ an 2000.
L’ ENFANT AU ROYAUME DES ECRANS
Si l’enfant est au coeur des images il n’y est pas seul, parler des enfants c’est parler des adultes qui l’encadrent, élaborent des stratégies à son égard tout comme parler des écrans c’est parler des écrits.
ECRAN CONTRE ECRIT
Les médias font l’objet de préjugés défavorables et tenaces, malgré un rappel constant de leurs apports. Craintes et reproches perdurent exacerbés dès lors qu’on les associe à l’enfance, catégorie sociale d’âge certes vulnérable mais pour beaucoup alibi. Cependant, ils ne sont pas égalitaires face aux feux de la critique. Le livre et la presse semblent bien à l’abri, servis par une légitimité culturelle portée à la chose écrite. L’écrit, réflexion et rigueur, rime naturellement avec culture. La bande dessinée rencontre alors quelques soucis en terme de reconnaissance, du fait d’une image dominante, mais ce n’est que peccadilles face à tous ceux qui produisent de l’ «image qui bouge». Ecran et tout bascule dans le réflexe, la passivité, rime avec fugacité bref avec danger. Si l’on ne peut nier leurs spécificités, on ne peut également que soupçonner une différence de légitimité entre un écrit synonyme de liberté et un écran, associé, à priori, à dépendance et facilité. Le statut de l’image est à interroger dès lors que l’on souhaite comprendre les écrans, car à la base de nombreux rejets, fondés moins sur des constats empiriques que sur des positions idéologiques. Si nous sommes dans une civilisation de l’image du fait de la multiplication des écrans, nous baignons encore dans une culture de l’écrit et l’enfant-écran doit savoir lire, entendez les papiers. Le discrédit porté à l’écran est aussi alimenté par son succès et pas seulement auprès des petits. Un rapport culpabilisant-culpabilisé bien adulte, génère un sentiment de péché dès lors qu’on s’y colle ou qu’on y colle ses enfants. Une gênante
fascination qui concerne notamment les plus réticents à l’écran, incapables d’en accepter sereinement les délices, tout empreints qu’ils sont de leur culture écrite de référence. Aussi, plonger dans le monde de l’écran c’est d’abord réaliser que cet univers est balisé par un positionnement face au champ de l’écrit et desservi par des représentations négatives qui, loin d’être neutres, influencent les représentations et pratiques enfantines, coupables ou valorisées, selon qu’il s’agit de télévision ou de livre. Mais tous les écrans ne se valent pas pour autant.
TOUS LES ECRANS NE SE VALENT PAS
Certains, explicitement habillés de la fonction éducative, graciés par la moderne interactivité et, par-dessus tout, s’ils présentent de l’écrit à l’écran, se voient accorder le statut d’écrans nobles, laissant celui d’écrans néfastes à ceux associés au divertissement gratuit et abrutissant. Une échelle de légitimité peut être élaborée à l’intérieur du champ écranique, valable tant dans la sphère scolaire que familiale. L’arrivée fracassante des «NTIC» semble avoir provoqué un saut médiologique consistant à reconnaître, après l’écrit, l’écran-ordinateur en laissant en route l’écran-télévision quant à lui toujours sujet à la réprobation. On ne peut avoir une approche unifiante des écrans d’autant que l’on assiste à une diversification des supports de base, des fonctions attribuées, des capacités techniques, des usages sollicités qui a complexifié un paysage jusqu’alors symbolisé par le petit et le grand écran. Ordinateur, téléphone, game-boy sont venus à la rescousse tandis que la télévision ne propose plus, une émission jeunesse diffusée par une chaîne généraliste mais aussi des chaînes ciblées enfant, des programmes ciblés petit enfant dans la cible enfance. Elle est payante, hertzienne ou cryptée, susceptible de se transformer en console ou magnétoscope et l’ordinateur n’est pas en reste déclinant, traitement de texte, CD-ROOM ou Internet, lui-même permettant de surfer de sites en sites ou d’échanger des E-Mails, de discuter dans des forums ou de jouer en réseau. Cet éclatement de l’écran implique que des familles d’écrans se forment et se défont selon le critère d’étude retenu. Entre les écrans stockés et les écrans flux, les achetés et les abonnés, les occasionnels et les quotidiens, les « tapisseries » toujours allumés et les « centrés » objets de concentration, émergent à chaque fois des problématiques divergentes, notamment des approches du public différentes quand bien même l’enfant potentiellement ciblé, est le même pour tous Les implications sociales varient, car certains tissent plutôt du lien social familial du fait d’une pratique collective, pendant que d’autres alimentent un lien intragénérationnel. L’univers écranique des enfants est traversé par une logique de fragmentation et dans le même temps marqué par la permanence des médias de masse. Il appelle une étude de l’articulation entre deux générations d’écrans et de la confrontation entre la possibilité, en théorie, d’un mode individuel de consommation et la réalité des applications familiales. En effet, au fantasme d’utilisateurs, avides d’informations et de culture, n’attendant que les branchements pour construire activement leurs programmes, on peut raisonnablement rappeler que l’hyper choix et la disponibilité des savoirs, ne résolvent en rien, les questions du désir de savoir et de la capacité à choisir qui sont, elles, affaires d’éducation. Si une possible autonomie de la demande émerge face à une offre jusqu’alors dominante, il reste à savoir ce que le tissu social peut et compte en faire.
L’ECRAN PEDAGOGIQUE
Distinguons ce qui relève du discours technico-publicitaire pressant, soucieux de vendre « la société de communication », constituée d’un conglomérat d’outils, symboles et enjeux de modernité obligatoire, et ce qui relève de réflexions mesurées et distanciées sur les perspectives sociales effectives de ces mêmes outils. Ainsi, l’écran pédagogique est porté par un impératif publicitaire jouant allègrement sur le statut d’enfant écolier et ressource pour la société technologisée de demain. Vendu comme remède aux maux socio-éducatifs, comme indispensable dès le berceau, à des parents que l’on sait inquiets de l’avenir et des performances de leur progéniture, à une école sommée de ne pas rater le train des « NTIC », le dit écran risque fort d’être admis sans conteste, dans une adhésion béate ou résignée. Pourtant, face à cette pression culpabilisante sur les sphères familiales et scolaires qui dans le refus, condamneraient irrémédiablement leurs petits à l’exclusion, on peut opposer une mise en soupçon systématique de l’euphorie exhibée. Réfléchissons aux réels intérêts d’outils, ne détenant en eux-mêmes que des potentialités, que seuls des projets éducatifs épanouiront ou non. La priorité n’est pas dans l’intégration sans condition mais dans l’élaboration du cadre pédagogique et du statut éducatif que l’on confère aux écrans, dans la formation et la motivation des utilisateurs, au-delà des connexions. Il revient aux acteurs sociaux d’évaluer le bien fondé d’un programme, l’usage approprié, de veiller à l’égalité d’accès, d’exprimer les freins culturels. Passer d’une logique d’imposition à une de négociation c’est réhabiliter un espace de liberté face à une offre marchande. C’est refroidir la satisfaction techniciste en éclairant la permanence des structurations socioculturelles. L’avancée fulgurante des techniques lance un défi aux éducateurs qui, face au miracle promis, se doivent de rester maîtres en introduisant tout le recul nécessaire, loin de toute diabolisation ou culte de la modernité, très près en revanche d’une pensée non prisonnière d’impératifs technologiques posés par une stratégie de séduction commerciale. L’alliance technologie et pédagogie génère aussi un gigantesque marché qu’il convient de mesurer tant on sait qu’efficacité économique n’entraîne pas forcément qualité pédagogique.
… ET INTERACTIF
Au mythe de l’écran interactif, sauvant l’enfant de la passivité écranique, et permettant une adaptation à son rythme, à son niveau, opposons la réalité d’une interactivité technique faite de souris et de clavier, qui ne sera jamais qu’un simulacre d’une interaction sociale, faite d’affectif et de conflits, d’écoute et de prise en compte de l’autre. Si, débarrassé des contraintes du collectif, l’enfant peut, à coup de clics, travailler ou jouer avec une machine toujours patiente et dispensant un suivi personnalisé, il reste qu’une réelle progression dépend, non d’une réaction mécanique, mais d’une explication dont seule la machine humaine est capable. Multisensoriels ou pas, les écrans ne sont au service d’un enfant que s’ils sont relayés par un tiers susceptible d’évaluer les compréhensions et incompréhensions, les constructions élaborées, de proposer une instance de distanciation afin de remplacer une simple consommation de l’écran par une exploitation constructive des richesses de l’outil. L’individualité et la flexibilité du multimédia ne comblent en rien l’explicitation des codes et la maîtrise technologique n’est qu’une étape renvoyant à l’adaptation de l’enfant à la machine. La maîtrise intellectuelle est, elle, totalement dépendante d’un adulte qui aide à s’orienter, à faire véritablement sens. Si l’écran propose à l’enfant de se débrouiller sans autre guide que celui préprogrammé, il ne peut longtemps camoufler qu’il appelle la médiation, non programmée, pour réchauffer la machine par une relation sociale qui certes, peut gronder mais aussi consoler, pour gérer la complexité du savoir, pour faire la part des choses et émerger le sens critique. Il est urgent de battre en brèche l’utopie d’un enfant autonome que l’on peut laisser seul sans culpabilité, sous prétexte que l’écran est interactif et pédagogique. On peut avancer au contraire, la primauté de l’accompagnement adulte tant prôné dès lors que l’on parle d’écran violent.
L’ECRAN VIOLENT
Une fois cela admis, il serait confortable de laisser aux éducateurs la seule responsabilité de la gestion des écrans. Les études sur les effets de la violence des images, en appuyant l’importance de l’accompagnement familial, demandent aux parents d’assumer. Soit, mais doivent-ils assumer seuls face à des contenus et politiques médiatiques qui concernent tout le monde ? Si l’on ne peut isoler les écrans (et leur violence) du cadre social complexe qui les génère, on ne peut, au même titre, polariser l’attention sur les effets d’un contenu sans interroger le contenu pour lui-même, non plus comme danger mais comme véhicule d’une culture, d’une morale, de normes. Constater l’indécence, la bêtise, le manichéisme de contenus plus vides de sens que chargés d’agressivité, les préjugés, bref explorer les représentations du monde offertes notamment aux enfants. Glissons d’une obsédante problématique de l’effet à une politique de contenu afin de éfléchir en terme d’implications culturelles, afin de dévoiler les logiques en amont, responsables des images, sites ou jeux vidéos critiquables. Accompagner la fonction parentale face aux écrans, ne se résume pas à proposer une signalétique violence, c’est ouvrir aux responsabilités de tous les acteurs impliqués dans la conception, production et diffusion des écrans, c’est avancer une volonté politique et culturelle, moins gémissante que constructive, moins excluante que tolérante face à des désirs légitimes, de succomber aussi, au plaisir de la gratuité même bêtifiante… C’est évidemment aborder le processus de marchandisation culturelle car l’écran violent est avant tout un écran marchand, excellent représentant de notre siècle, certes de communication, mais encore et toujours de consommation.
… ET MARCHAND
Si la violence fait vendre (le public n’est pas un saint), l’enfant aussi. Au centre des stratégies des grands groupes de communication, le fameux enfant-roi est une cible privilégiée directe (perspective ludique) ou indirecte (perspective éducative). Les écrans, esclaves de leurs audiences segmentées ou non, du nombre de connexions ou des chiffres de vente, dépendants de la manne publicitaire et de leurs actionnaires, en concurrence aiguë et obnubilés par des résultats à court terme, s’adressent aux enfants en séducteurs. Une perpétuelle séduction loin de toute idée de mission culturelle, près des attentes du public, inlassablement sondées afin de toujours mieux adapter. Donner au public ce qu’il aime c’est aller vers la facilité et la complaisance et non du côté de l’originalité et de l’audace, c’est nous conforter dans notre propre paresse, avaliser les certitudes et les clichés et non cultiver les goûts. L’enfant est dragué et non guidé, perçu comme un capital économique, source de profits et la vulgarité est moins dans l’image, que dans cette instrumentalisation d’un enfant dont on oublie vite qu’il est aussi un capital culturel. On les connecte, on les abonne, on leur achète, mais quel monde intérieur leur propose-t-on ? C’est au nom d’une culture, pas seulement marchande, d’un enfant à construire plus qu’à flatter, que le champ politique se doit de compenser par une offre publique imaginative,
une logique commerciale qui ira toujours là où il y a marché, édifiant ou pas peu importe, pourvu qu’il y ait succès. Une véritable politique culturelle c’est réhabiliter le long terme pour offrir au public ce qu’il pourrait aimer et non forcément ce qu’il désire. C’est une ligne éditoriale décidée non par une demande reine, mais par des concepteursprogrammateurs ayant une haute idée de leur métier et de leur public, élaborée avec l’aide de spécialistes de l’enfance et non du marketing, réconciliant audimat et qualité, ambitieuse plus que démagogique. Ne pas abandonner les écrans aux seuls marchands, c’est estimer notre droit de regard, notre devoir de critique et notre pouvoir de boycott. C’est parier sur un public qui, sans démissionner, du haut de ses précieuses attentes, sait faire pression pour que les choses évoluent. La leçon à tirer des débats virulents concernant la violence ou la publicité dans les programmes pour enfants, est bien l’apparition de ces deux thèmes, présentés comme absents, dans les arguments de vente lors du lancement d’une nouvelle offre. Une critique finit toujours par porter ses fruits et elle est cruciale aujourd’hui, lorsque l’on réalise que l’enfant en réseau sera identifié non plus comme public indifférencié permettant encore une distanciation et une recherche de consensualité, mais comme un individu à qui l’on adresse un message personnellement adapté donc hautement manipulateur ; que le marketing envahit la toile des petits avec ses offres privilégiées et autres subtilités commerciales.
L’ECRAN REGULE
S’il est de bon ton dans une société libérale de défendre une autorégulation, celle-ci nous semble bien utopique car reposant sur beaucoup de partenaires idéalisés comme soucieux de culture et de déontologie. Il est plus judicieux de repenser le statut du droit et de la politique, leur rôle de régulation et d’incitation dans une société plus préoccupée par des perspectives commerciales et techniques que culturelles et sociales.Les acteurs privés et publics doivent construire ensembles de nouveaux types de régulation et de nouvelles formes de déontologie.Si nous sommes libres en principe de regarder et penser n’importe quoi, nous sommes également en devoir d’assumer notre liberté de choix. Ce n’est pas parce que l’on peut tout dire, qu’il faut tout dire et le débat primordial est de se demander, dans un monde moderne et face à l’abondance, la technicité et l’inter-culturalité médiatique, au nom de quoi juger et réprimer. L’enjeu de la protection de l’enfance et de l’adolescence, en amenant la question du contrôle au devant de la scène, exacerbe les tensions, entre les partisans d’un pilotage automatique des écrans par le marché et ceux d’une régulation publique, attentive à la question éthique mais aussi culturelle dans un contexte de mondialisation, et pointant les dérives d’un net livré à lui-même et au plus argenté.
Pour l’heure, il semble que l’on opte pour l’auto responsabilité, donc pour la décentralisation du processus du contrôle qui repose alors sur les opérateurs privés et les diffuseurs, les fournisseurs et les éditeurs, sur la médiation parentale. Dès lors, comités de visionnage, filtres, labels et autres avis fleurissent, garantissant non, qu’on ne produit pas n’importe quoi, mais qu’on répond aux inquiétudes familiales, toujours séduire, que la démocratie est sauve car point de censure brutale mais de la self régulation, monnayable, toujours vendre… Une fois l’honneur et la rentabilité saufs, reste le sujet de l’efficacité. L’irrévocable subjectivité à la base de toute labellisation d’un contenu, les limites posées entre, interdit et autorisé, par des évaluateurs juges et parties, ajoutés à la possibilité qu’un enfant soit, malgré tout, seul et adroit devant l’écran, laissent entier le problème de la protection qui est une affaire privée, dépendant de l’attitude et du discernement parental et non de « prêts à trier ». L’antidote-violence standard n’existe pas car elle supposerait, partout et tout le temps, une norme consensuelle, un contenu quadrillable et une réception programmée. L’enjeu de la problématique de la protection est, au bout du compte, la cellule familiale. La mise à l’abri réelle des enfants de sites tendancieux ou d’images choquantes, relève d’une gestion parentale même si, en amont, le respect de règles éthiques renvoie à la responsabilité des opérateurs privés et à l’intervention d’une régulation publique. La signalétique violence dispense un conseil (bien moins judicieux que celui des parents) mais cette substitution de l’évaluation parentale à celle proposée par le média, suppose que les parents ne sont pas suffisamment armés pour savoir eux-mêmes ce qui est bon ou mauvais pour les enfants… Face aux mesures de protection, c’est en finalité toute la question de l’éducation qui émerge. Loin de nous l’image d’éducateurs démissionnaires et irresponsables. On trouve là des représentations tout aussi caricaturales que celle d’un enfant-buvard face à l’écran. Nous voyons beaucoup plus des acteurs impliqués mais démunis, plus maladroits qu’absents face à ces perturbantes fenêtres ouvertes sur un monde auquel leurs enfants peuvent être confrontés sans médiation. Menons un débat, sans stéréotypes et catastrophismes réducteurs auxquels ils sont
habitués, mais intelligent et compréhensif pour que se rencontrent des angoisses sociales, dignes d’attention, et des informations mesurées, quittant les lieux communs et les caricatures. Pas plus incompétentes que seules responsables, les familles méritent réflexion et sont capables d’analyse si tant est q’une rhétorique et des arguments non simplificateurs et alarmistes leur soient avancés. Tant que l’on se polarise sur les effets des contenus, ceux-ci ont beau jeu de n’être nterrogés pour eux-mêmes et si la démocratie est mise à mal par la délicate question de la censure, elle l’est aussi par celle de sa culture. Un système de police qui se contente d’étiqueter des produits sans en interroger leur légitimité, s’attache à l’emballage (classer des contenus existants) et non au produit lui-même (la culture véhiculée),conditionne un produit insipide ou violent mais ne se demande pas pourquoi il l’est et comment faire pour le rendre moins indigent. Cette tâche est évidemment plus ardue car elle appelle une remise en cause profonde d’un système de production, de diffusion et de consommation dans son ensemble, c’est penser les images non seulement comme résultats d’une économie mais aussi d’une culture.
L’EDUCATION AUX ECRANS
Introduire du doute soupçonneux, une culture de résistance, chez des citoyens petits et grands, face à des écrans imposant leurs règles, voilà le seul pari qui tienne et qui revient à une mobilisation ambitieuse en matière d’éducation aux écrans. Prendre en main ses écrans ne concerne pas seulement les enfants, l’adulte, que l’on veut guide, que l’on sait modèle, doit être intégré à une formation à l’expertise écranique. Cette dernière, commence par une verbalisation des craintes et des culpabilités pour assumer sereinement à savoir humainement. Pour pouvoir donner aux enfants les clés et les codes de l’image, une conscience critique des stratégies et des enjeux, il faut préalablement ré instaurer une communication entre petits et grands autour des écrans. Une résistance adulte face à une culture enfantine jugée à priori inintéressante, fondée sur l’ignorance, la nostalgie et la condescendance risque de générer, après une auto exclusion adulte d’une culture télévisuelle puis Nintendo en culottes courtes, celle d’une culture Web. Le libre arbitre de l’enfant ne pourra s’épanouir sur la base d’une excommunication mais d’une compréhension, notamment de leurs attirances, d’une connaissance de leurs héros et jeux vidéo. La reconnaissance réciproque adulte-enfant, indispensable pour une appropriation mutuelle de l’écran, repose en premier lieu sur une légitimation de la culture des petits, loin d’être globalement médiocre. Ainsi, il me semble primordial de mener une politique de sensibilisation auprès des médiateurs de l’ enfance.Nous ne développons pas la problématique de l’ éducation aux médias dans le cadre scolaire mais celle ci est pour moi, également, essentielle. L’ école est en effet le lieu où se jouent les effets de mode, où circulent les produits dérivés, où se discutent les contenus, les héros, les programmes.Elle est en ce sens le lieu idéal pour aborder une reflexion avec les enfants. Une deuxième perspective, importante à mes yeux, consiste à explorer sérieusement les stratégies de contrôle parentales.
STRATÉGIES DE CONTROLE
Elles sont le résultat d’une imbrication de multiples et diverses représentations individuelles et collectives, plus ou moins conscientisées et orientant une pratique de contrôle toujours différente d’une cellule familiale à l’autre. La régulation quotidienne des médias mobilise tout à la fois, les conceptions parentales de l’éducation, leurs perceptions de la violence, leurs opinions sur les réglementations et la protection, les statuts qu’ils confèrent à l’enfant et aux médias. Ce sont plus loin, des fondements culturels, des principes et des valeurs propres à chaque famille, qui cadrent la gestion de l’enfant dans son rapport aux médias. L’intervention sera nécessairement différente selon qu’on souhaite éduquer le regard de l’enfant ou gérer les choses offertes à son regard, selon qu’on se représente le média comme agent éducatif ou comme support de divertissement facile. Le livre, représentant de l’écrit si légitimé, de la culture « cultivée » ou l’ordinateur symbole de modernité, des nouvelles technologies–enjeux pour l’avenir, ne seront pas contrôlés de la même manière qu’une télévision, de masse, populaire et digne représentante de l’image qui fait peur. Dans ce que l’on dissimule, notamment à l’enfant, on trouve le plus souvent tout ce que l’on se dissimule en lien avec nos peurs et impuissances. Par-là, autant d’êtres humains que de motifs de censure, excellents révélateurs de nos propres limites. Pour exemple, les visages de la violence sont multiples, sa perception sociale et individuelle varie et le jugement qu’on lui porte ne repose finalement que sur sa propre tolérance et stratégie. Si l’on ajoute que les violences les plus visibles ne sont pas forcément les plus nuisibles, que la violence repérée par un adulte est souvent là où elle l’est le moins aux yeux des enfants, on imaginera sans mal les problèmes d’appréciation auxquels est confronté tout évaluateur. La frontière entre un érotisme acceptable et une pornographie condamnable ne se décrète pas, aucune règle explicite ne détermine la limite entre l’autorisé et l’interdit, l’intervention ne peut être qu’empirique et personnelle. Pourtant, le contrôle est une réalité quotidienne, acte public tout autant que pratique privée, fonction de régulation sociale, de protection d’un individu, d’un groupe ou d’une culture, il est intéressant de s’interroger sur ses modalités comme de superbes indicateurs des principes et normes d’une société. Ce sont ces stratégies, complexes et toujours plurielles que nous souhaitons mettre en avant en rappellant que les parents sont moins en attente d’ un substitut à leur fonction de contrôle et donc d ‘éducation, que de contenus valorisants à mettre sous l’ oeil de leurs enfants.Il s’ agit de donner la parole aux familles et au quotidien, parole intérressante tant il est clair que la protection appropriée d’ un enfant dépend de la sphère privée.
POUR CONCLURE
Parler d’enfants et d’écrans c’est parler d’adultes tant il est vrai que la tyrannie ne viendra pas des écrans mais des médiateurs de la sphère privée comme publique, qui auront quitté le navire médiatique. L’enfant n’est pas plus victime d’un écran dévoreur et aliénant, ou prescripteur-despote face à des parents sans résistance, qu’armé d’une force critique qui va de soi, le mettant à l’abri de toute répercussion néfaste. Il est ce que l’adulte lui permet d’être par son intervention régulatrice et formatrice, par son système de valeurs toujours prégnant. Réhabiliter la fonction éducative c’est, après l’idéologie des droits de l’enfant, poser la limite de ses devoirs mais n’oublions pas les nôtres à commencer par celui de dire non. Face aux prophéties écraniques, il convient de rappeler qu’une technique ne va pas dans le sens d’une transgression sociale mais d’une reproduction. Pas plus barbare que salut, l’écran se contente de rendre flagrant un monde qui s’élabore ailleurs, dans la société humaine qui doit domestiquer l’outil afin qu’il soit au service de l’enfant et d’une démocratie pas uniquement commerciale et électronique.
Humaniser les écrans c’est ne pas avoir une confiance aveugle en la performativité technique pas plus qu’en la perspicacité sociale, c’est se méfier des solutions techniques avancées pour résoudre des problèmes humains. La multiplication des canaux (progrès technologique) ne règle en rien la question de la culture et de l’éducation (progrès social). Enfant, Pokémon et Tintin, MacDo et cassoulet, écran, ordinateur et télé, fragmenté et de masse, ils sont métisses et doivent être mis au coeur des politiques culturelles et pas seulement des stratégies industrielles. Penser les écrans revient à greffer une conscience éthique et sociale sur des transformations technico-médiatiques. Le Cyberspace versus enfant, ne porte pas un progrès éducatif et culturel assuré, encore faut-il en interroger les contenus et objectifs, les conséquences sociales. Et là, il est question de volonté et vigilance collective et pas seulement de responsabilités familiales.
Agnès Pecolo (maître de conférence, Bordeaux III) : stratégies plurimédias et usages des médias - Article réalisé pour le Credam - 2006